De me lever à 6h00 du mat. Malgré que je me sois couchée tôt hier soir, j’ai pas trouvé le sommeil tout de suite. Trop de trucs dans la tête, encore une fois. Des planifications de projets, surtout, mais aussi quelques questions à propos de mon père, que j’ai entrevu samedi soir, très furtivement.

On ne s’était pas vus depuis la fin octobre. Et même à ce moment, c’était très furtif aussi… Pourtant, j’ai remarqué une différence. Imperceptible pour la majorité des gens qui entourent mon père, mais moi, j’ai vu quelque chose. Samedi, j’ai vu mon père plus brisé, plus déchiré que je ne l’avais jamais vu avant. Il ne le montrait pas, non, même pas avec ses paroles. Mais ses yeux le trahissaient. Ça m’a frappé dès que je l’ai vu à travers la porte vitrée, avant qu’il ne m’ouvre et qu’on monte prendre un verre. Rien dans son attitude physique ou sa démarche ne semblait dénoter quelque chose. Mais ses yeux… Ça m’a presque fait peur. Que mon père soit brisé par la vie, ça, je le savais. Qu’un homme de 52 ans soit “découragé” de regarder le tapis inégal qui jonche sa ligne de vie, soit. Mais la lassitude que j’ai vu au fond de son regard dénotait autre chose.

Samedi soir, j’ai eu l’impression de parler avec quelqu’un qu’on maintient artificiellement en vie. Quelqu’un avec qui les promesses ne fonctionnent plus, qu’il faut vraiment agir directement par intraveineuse. Un homme totalement désillusionné, qui ne garde les yeux ouverts que pour éviter de se rétamer la gueule dans le premier escalier venu. Et la façon qu’il a eu de poser ses yeux sur moi pendant les quelques heures que nous avons eu ensemble m’a complètement retournée. L’annonce de mon départ prochain (fin janvier) l’a empli d’un sentiment difficile à décrire, un mélange d’euphorie, d’envie, de peur, de rage, d’ennui, de fierté… Sa fille unique décide de partir, seule. Sans date de retour. J’avoue que ça peut ébranler un père.

Mais j’ai peur d’avoir vu autre chose que tout ceci dans ses yeux. J’ai peur d’avoir entrevu la fin. Mon père est un homme que j’admire sans bornes. Aux yeux des gens qui l’entourent, il n’a rien fait de bien, il a raté sur toute la ligne, bref, c’est un débris de la société. En fait, oui, c’en est un. Débris, puisque rejeté par le moule de la conformité et du rouleau compresseur nord-américain. Et ça, c’est suffisant pour que je l’admire. Et voir souffrir un homme qu’on admire (son père, de surcroît), c’est un sentiment affreux. Je me suis sentie d’une impuissance totale. J’aurais voulu lui dire quelque chose, mais je ne trouvais rien. J’avais l’impression de le voir me dire “Ne t’inquiètes pas, c’est bientôt la fin, mais c’est inutile de faire quoi que ce soit. Va, vis.”

C’est ce que je fais. Mais s’il arrivait quelque chose pendant mon voyage, je ferais face à une des pires situations de ma vie.

Parfois, ça m’énerve d’être aussi lucide.

Je préfère me dire que c’est ma façon de le regarder qui a changé, plutôt que la sienne. Mais ça n’arrange pas le problème, je me questionne autant. Puisque mon regard s’étend à l’humanité qui m’entoure, je me demande si je regarde TOUT “comme avant”. Avant quoi ?