Contexte: scène de routine d’arrivage de l’école, impliquant défaisage de boite à lunch. Je suis dans la cuisine et je sors des choses pour que ça décongèle en attendant le souper. Sur le comptoir, deux assiettes de mon diner, prêtes à aller au lave-vaisselle.
- Rouquine, quand tu déferas ta boite à lunch, rends-moi service et place mes deux assiettes au lave-vaisselle SVP 🙂
- Contre quoi?
#biggestfacepalmeverEXTRAeyerolling
Le contexte plus large mérite d’être décrit.
Cette semaine, l’Homme est allé, en compagnie de la mère de sa fille, assister à l’habituelle rencontre de parents à l’école. La titulaire leur explique le fonctionnement de la classe, rien de bien nouveau sauf l’utilisation d’un système, ClassDojo, dont la titulaire se sert pour “donner des points”. En gros, c’est un Air Miles pour les élèves: tu te mets bien en rang, t’as un point. Tu respectes une consigne, t’as un point. Tu aides un ami, t’as un point. Etc. De mon point de vue de fille de pédagogue, ce système m’apparait “bien” parce qu’il permet autant au professeur qu’aux parents d’évaluer la capacité d’un enfant à retenir et respecter des consignes, ça donne un bon portrait global du comportement de la progéniture et ça facilite les communications parent-prof.
Là où je trouve que ça se gâte, c’est dans le système de pointage. L’accumulation de points “débarre” des privilèges. Jusque là, c’est bon, comme tous les programmes de récompenses. Sauf que… quand un élève ne retient/respecte PAS une consigne, que se passe-t-il? Niet. Nada. Zilch. Eurdjien pantoute. L’élève ne perd pas de point. À ce moment de l’explication de la prof, l’Homme réagit un peu, et passe un commentaire à voix basse à la mère de la Rouquine, en disant “Ben là, ça sert à rien, si y’a pas de conséquences!” Madame griffonne quelque chose d’illisible sur un bout de papier, ils se disent qu’ils vont en reparler plus tard après la réunion de parents.
Elle explique alors qu’elle a installé une application similaire pour la gestion des tâches et de la routine à la maison. Quand Rouquine se brosse les dents, elle a un point. Quand elle défait sa boite à lunch elle a un point. Etc. Et encore une fois, accumulation de points = débloquage de privilèges. Mais… PAS DE RETRAIT DE POINTS NI DE PRIVILÈGES si l’enfant ne fait rien/n’écoute pas!
L’Homme argument que voyons donc, des privilèges, ça se perd quand tu fais pas ce qu’on attend de toi! Et Madame, complètement outrée, lui répond: “Non! C’est pas comme ça que ça marche dans la vie!! Dans la vie, tu travailles pour avoir des sous. Si tu travailles pas, t’as pas de sous. Point!”
Homme reste hébété pendant 10 secondes, se demandant si la mère de sa progéniture avait VRAIMENT saisi le sens de ce qu’elle venait de dire… Puis s’est dit que non. Il répond que justement, si tu ne travailles pas, pas de sous, donc pas de maison, pas de voiture, pas de vêtements, pas de nourriture, pas de loisirs… “Oui mais ça c’est la société des adultes qui est comme ça! Un enfant ne vit pas là-dedans! Un enfant n’a pas à se conformer à ça!”
Il a quitté la discussion à ce moment précis. Alors qu’il me raconte tout ça, la seule conclusion possible qui me vient en tête est que Madame s’identifie encore comme un enfant. Parce que en gros, on partage l’éducation d’un enfant avec une personne qui considère que l’apprentissage ne passe que par les félicitations (parce que tsé, faut surtout pas toucher à leur estime personnelle à ces pôv-tites bêtes-là), et que les punitions c’est teeeeeellement 1989.
Pour augmenter l’insulte d’un cran, nous avons appris un peu plus tard que dans le système de points de Madame, certains privilèges, lorsqu’accumulés, peuvent être convertis en argent. La coquette somme de 5$ peut donc être touchée après un certain nombre de points. Réaction de la Rouquine? “5$, c’est rien, c’est pas intéressant, on peut rien se payer avec ça de nos jours. Si c’était 20$ je ferais un effort.”
*flashback à cet été, pendant que nous sommes en vélo autour du Lac St-Jean, la Rouquine est en vacances chez ses grands-parents en France*
Nous sommes à récupérer de notre journée, en train de savourer une bière bien méritée, et l’Homme relève ses messages. Dans la série qui vient de ses parents, une séquence de photos: la Rouquine boudeuse attablée devant une assiette vide, la Rouquine au visage grimaçant attablée devant une assiette avec une moule dedans, la Rouquine qui mange la moule en se bouchant le nez, la Rouquine avec un énorme sourire et 20€ dans les mains. Sous-titrage de la série: “Elle a accepté de manger une moule en échange de 20€, c’était marrant de la voir grimacer! Quelle mignonne puce!”
S’en est suivi un débat sur les allocations, l’argent de poche, les sous dans la maison en échange de tâches, etc. L’Homme et moi sommes sur la même longueur d’ondes: “Tu vis chez nous, on fait plein de choses pour toi, et plus tu grandis, plus tu es en mesure d’en faire aussi. Donc, tu vas participer aux tâches et entrer dans la danse des services qu’on se rend tous entre nous, parce que c’est un travail d’équipe, et qu’il est hors de question qu’on te paye pour aller mettre deux assiettes au lave-vaisselle.” Armés de cette belle pensée rassurante et satisfaisante de savoir qu’on est du même avis sur un truc relativement important, on file se coucher.
*retour à maintenant*
Après l’histoire de la moule à 20€, nous avons décidé de passer le message à la Rouquine, après son retour, que dans la maison chez nous, pas de sous en échange de services. Le message semblait compris… mais tout ça c’était sans compter que sa mère allait introduire l’application… les points… et les sous.
Élever un enfant à trois, c’est comme essayer de diriger un canot tout seul: impossible d’avironner de manière égale sans tourner en rond.
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