mais je n’y arriverai pas, même si j’aime pas perdre du temps pour des trucs futiles.

Madame Bardot,

Vous me les cassez un brin avec vos allégations ridicules et vos insultes envers ce que je considère encore comme mon pays.

Je vous prierais donc très poliment de poser des besicles sur ce visage qui fut jadis gracieux, et de vous instruire un tantinet à propos de la réalité économique et écologique des provinces canadiennes sises sur l’océan Atlantique.

Je vous aide un peu:

L’Île-du-Prince-Edouard, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Ecosse, ainsi que Terre-Neuve-et-Labrador constituent les provinces les plus à l’Est du Canada. Les trois premières sont les plus petites provinces du pays, la dernière est la plus vaste, et est également la dernière province à avoir joint la Confédération, en 1949. La population des provinces maritimes totalise environ 2,3 millions d’habitants (un peu plus de 6% de la population canadienne), répartis sur 500 000 km²: la densité est donc d’environ 2,4 habitants par kilomètre carré.

La particularité de ces provinces est visible à l’oeil nu, en regardant bêtement une carte du pays; un seul terme peut les définir: insularité.

Les provinces maritimes sont des îles ou des presqu’îles, elles font donc face de (presque) tous les côtés à une étendue d’eau: estuaire et golfe du Saint-Laurent, océan Atlantique et une multitude de baies forment le contour des provinces de l’Est.

Pourquoi ces provinces sont-elles insulaires de la sorte ? Tout simplement parce qu’elles sont le prolongement de la chaîne des Appalaches, une formation montagneuse qui s’étend sur tout le nord-est du Canada et des Etats-Unis. A l’exception de Terre-Neuve-et-Labrador, qui appartient au Bouclier canadien, les provinces maritimes sont donc des “sommets” de montagnes, qui baignent dans la flotte. Ca va, madame Radeau, je ne vous ai pas perdue ?

Bien, passons à l’étape suivante.

Ces provinces étant insulaires et à relief vallonné -sauf pour l’Île-du-Prince-Edouard, vous conviendrez qu’il est plutôt difficile d’y pratiquer une agriculture (intensive ou extensive) qui soit rentable économiquement. L’exception mentionnée précédemment, l’Île-du-Prince-Edouard, est reconnue pour sa production de pommes de terre.

DONC, si on ne peut y pratiquer une agriculture rentable, il faut se tourner vers d’autres activités lucratives. Quel bonheur, il y a de l’eau partout autour, et cette eau regorge de richesses que l’homme peut exploiter -dans une certaine mesure, bien évidemment. Oui, madame Ragot, je parle de la pêche. Cette activité constitue une partie essentielle de l’économie des provinces atlantiques, et pendant un long moment dans l’année, cette pêche est impossible, à cause du climat. Que faire, lorsque les bateaux sont cloués au port par la glace ? On trouve autre chose, puisqu’il faut vivre. Alors, on chasse le phoque.

Ahlalala mais quelle horreur, on transforme les banquises en boucheries à ciel ouvert, du sang partout, non mais quelle honte, où va le monde, ma bonne dame. Où il va le monde ? Là où il y a des sous à faire. Ces gens sont privés de leur revenus de façon saisonnière, et la chasse aux phoques représente jusqu’à 45% du revenu annuel pour certains pêcheurs des provinces sus-mentionnées.

Voilà pour la partie économique.

Maintenant, la partie écologique.

Madame Bardée, l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent ainsi que la portion de l’océan Atlantique qui baigne les provinces maritimes sont en ce moment aux prises avec un grave problème de manque de ressources: les populations de morues sont décimées à cause de la surpêche des dernières décennies. Etats-Unis, Canada, Portugal, Espagne, Filande, presque toute l’Europe de l’Ouest est venue piocher dans nos réserves, avec des techniques de pêche illégales (filets à mailles plus serrées, filets tirés entre deux bateaux), et cette surpêche est partiellement à l’origine de la pénurie de morues dans les bancs de Terre-Neuve. Les pêcheurs ont fait fi des zones internationales et sont venus pêcher sur la plate-forme continentale canadienne. Résultat: n’apupoissons pour nous, pauvres pêcheurs.

Mais la surpêche n’est pas la seule responsable de la diminution drastique des morues.

Qui bouffe des morues ? C’est la base de la chaîne alimentaire, madame Bradée, les carnivores mangent les pas-carnivores. Ici, les phoques mangent les morues.

Au cas où ça ne serait pas encore rentré dans votre jadis-jolie-tête, la chasse aux blanchons (ces mignons bébés phoques tout blancs) est interdite depuis 1987. Il faut maintenant chasser des phoques adultes, ayant donc atteint la maturité sexuelle, afin d’assurer la pérennité des populations de phoques. Or, la population de phoques que vous tentez aujourd’hui de défendre comme une louve ses louveteaux, elle se chiffre à 3,8 millions de têtes. Soit le triple de la population au même endroit en 1970.

Madame BB, à la suite de votre première crise de larmes il y a plus de 30 ans, plusieurs gouvernements ont été sensibilisés et ont instauré des quotas, ceux-ci sont encore en vigueur, et les chiffres ont sans cesse été revus à la hausse: on peut chasser de moins en moins de phoques, si bien que ceux-ci ont aujourd’hui recouvré une densité de population comparable à celle d’il y a 100 ans. Donc, ils bouffent autant de morues qu’il y a 100 ans.

Pour notre part, nous, pauvres humains, nous avons aussi, bon an mal an, vécu une hausse démographique, qui influence grandement les besoins de la population: plus de bouches à nourrir, ça fait plus de bouffe à trouver. Ca aussi, c’est la chaîne alimentaire. Et manger, ça coûte des sous. Les sous, on les prend où ?

Madame Bardotte, je vous suggère de donner une partie de votre richesse à ceux à qui vous voulez retirer 45% de leur revenu annuel. C’est pas équitable ?

La défense des phoques, c’était bon y’a 30 ans. La crise pour les pluies acides il y a 20 ans. Maintenant, c’est les forêts tropicales équatoriales, les gaz à effet de serre, le réchauffement climatique, la fonte des glaciers, l’érosion des plaines agricoles, la désertification des steppes arides, la mort lente des récifs coralliens, ou encore, si vous voulez de l’humain, c’est la grippe aviaire, la famine en Ethiopie, les attentats-suicide, le SIDA, la Tchétchénie, l’Irak, le Pakistan, le Cachemire, le Yucatan, la Colombie… je peux vous faire un bref état de la planète, si vous me le demandez.

Veuillez donc, par pitié et avant que je ne m’énerve, aller rouler vos yeux effarés ailleurs, dehors de mon pays. Je ne vous remercie même pas.

Non mais.

(Et concernant Paul McCartney, qui est venu s’étendre 10 minutes sur une banquise il y a quelques semaines, avec sa dulcinée, je dirai simplement que c’est navrant de voir qu’il se préoccupe des phoques en Alask—au Canada, plutôt que de continuer à faire de la bonne musique et de suivre sa douce qui promeut si bien l’éducation en Afrique. Voilà.)