Aujourd’hui, c’est un jour bien spécial. Le 29 juin 2015 est la dernière journée de travail de ma mère, Danielle. Elle part à la retraite dans quelques heures. Au moment d’écrire ces lignes, je la sais en train d’annoncer son départ à ses collègues d’une des écoles où elle a eu le plaisir (et parfois le poids) d’enseigner l’anglais à des élèves de tous les niveaux du primaire. Mais avant de parler spécialement de ma mère, j’aimerais écrire un mot pour tous les enseignants, qu’ils soient dédiés au niveau préscolaire ou universitaire: MERCI.
Merci, pour les heures de dévouement, de stress, de rires, de patience, d’écoute, d’explications, de ré-explications, de re-ré-explications, de corrections, de préparation de classes, de rencontres avec les parents, de discussion avec les collègues sur les meilleures manières d’intervenir pour un élève ou un groupe en particulier, merci de faire ce que vous faites: transmettre de l’instruction au meilleur de vos capacités, dans un milieu pas (toujours) facile, dans un contexte aux difficultés grandissantes et au défis permanents.
Merci de tenir à vos valeurs, de faire la sourde oreille devant les parents-valets, de tenir votre bout devant les aberrations qui vous sont imposées de part et d’autre, de tenir l’école à bout de bras, et de continuer à vous lever chaque matin pour faire ce métier sous-payé mais ô combien nécessaire pour l’avancement de la société.
Merci de dépasser quotidiennement le cadre de votre rôle en jouant au policier-pompier-ambulancier-psychologue-clown-sorcier-magicien-artiste-travailleur social-arbitre de hockey-surveillant-gardien de sécurité… merci, pour tout, vraiment.
Ma mère a évolué dans un contexte où plus ça change, plus c’est pareil, malgré ses déplacements à elle. Initialement détentrice d’un baccalauréat en traduction, le métier d’enseignante lui est un peu tombé dessus sans qu’elle ne le choisisse: il lui fallait un emploi pour subvenir à ses besoins et aux miens. C’est au début des années 1990 qu’elle a commencé au bas de l’échelle, en faisant des remplacements à gauche-à droite, sur une liste de suppléance au niveau secondaire. Des semaines d’angoisse à attendre que la sonnerie du téléphone résonne dans les murs du demi-sous-sol. Des mois à dire oui, à tout, pour accumuler le plus d’heures possibles, et remonter dans la liste des disponibilités. Des années à remplacer à pied levé pour des matières impossibles, tant pour les cours de base que pour ceux aux titres évocateurs, tels que “Formation personnelle et sociale”, “Enseignement moral et religieux”, en passant par “Éducation et choix de carrière”, “Économie familiale” et autres cours aujourd’hui relégués aux oubliettes.
Alors que je rentrais de l’école en pleurant, elle aussi rentrait en ravalant ses larmes: les meilleures journées se passaient garnies d’insultes des élèves, les pires étaient couronnées de pétards à mèche explosés en classe. Vive La Tuque et sa polyvalente… inutile de dire pourquoi j’ai préféré aller ailleurs au secondaire, ce qui a malheureusement augmenté le nombre de dollars nécessaires dans le compte en banque de ma mère.
Alors que je termine mon secondaire, en 1997, après quelques années de remplacement en français, Danielle obtient enfin sa permanence, puis un poste en anglais, toujours au secondaire. Cette stabilité lui permet de souffler et de se créer une routine. Avec moins de 10 ans d’ancienneté, elle ne figure pas dans les plus jeunes: elle a tout juste 40 ans. Elle sait d’avance que sa retraite, c’est dans looooooongtemps… et chaque année, elle voit les profs usés quitter, parfois de guerre lasse, d’autres fois en effectuant des danses de joie… mais ce n’est pas pour elle, pas tout de suite.
En 2003, un déménagement la pousse à faire une demande de transfert, toujours au sein de la même commission scolaire. Elle obtient un poste permanent, en anglais, mais au primaire. Une nouvelle vie commence: sa voiture devient son bureau, elle doit se promener entre trois ou quatre écoles selon les années et ses tâches. Elle vit la réforme pour la deuxième fois. Elle voit la différence entre les milieux plus “ruraux” et ceux plus “urbains”, apprend à gérer des presque-bambins de 6 ans confrontés pour la presque-première fois à une langue “étrange”. Je me souviens d’une phrase qu’elle a dite après deux ou trois ans à graviter dans ce milieu: “Écoute, c’est les vacances si je compare au secondaire… je suis payée pour chanter des comptines et faire le clown!”
Oui, faire le clown. Comme je disais plus tôt, le rôle de prof, c’est d’être tout EN PLUS d’être prof. La portion des remerciements écrits plus haut est bien évidemment teintée de tout ce que je sais du milieu de l’enseignement… Beaucoup de mes amis sont dans le même bateau que ma mère… la retraite en moins! Et cette retraite, ma mère l’a devancée. Elle devait initialement quitter quelques semaines après la rentrée de 2015. Elle avait fait ses calculs, des tableaux, re-calculs, encore d’autres tableaux… Elle quitte avec des pénalités, puisqu’elle n’a pas atteint le seuil minimal requis -je vous rappelle qu’elle a commencé à enseigner avec quelques années de retard sur la moyenne de ses collègues. Elle part donc à 58 ans, avec encore plein d’énergie pour transmettre sa passion, mais plus aucune envie de se battre contre un système de moins en moins favorable à l’exercice de sa profession.
Elle a gardé son départ secret jusqu’au dernier jour de sa présence dans chaque école où elle a enseigné cette année. Chaque annonce était reçue de la même manière par ses collègues, qui après avoir été bouche bée ont tous chaleureusement signifié leur appréciation du travail de ma mère. Ce n’est pas parce que c’est ma mère que je le dis: personne ne déteste ma mère. Personne. (Que j’en voie un…) Ma mère est toujours de bonne humeur, voit toujours de manière positive, est même une indécrottable optimiste, une chercheuse et trouveuse de solutions, dotée d’une débrouillardise à toute épreuve, en plus d’avoir cette passion pour la transmission des connaissances, le réel moteur de l’enseignement. Un prof passionné, c’est un prof qu’on écoute sans se lasser, peu importe la matière et le niveau.
Voilà donc pour la semi-bio de ma mère, qui tourne aujourd’hui une très grosse page de l’histoire de sa vie active. Demain sera un autre premier jour du reste de sa vie… qui sera toujours active. Il ne me reste qu’à espérer que ce reste de sa vie soit à la hauteur de ses attentes et de ses ambitions! Et à lui dire merci… au nom de tous les parents d’élèves et des élèves/étudiants qui ont eu l’honneur (oui, c’en est un!) d’être assis devant elle entre 1991 et 2015. Et merci aussi en mon nom, car ma mère a été le premier prof de ma vie… au sens propre: elle a assuré mon instruction pré-scolaire jusqu’à ce que j’use mes fonds de culotte sur des vrais bancs d’école en 4e année de primaire. Des mères comme ça, il n’y en a pas beaucoup… et des profs comme ça, il en faudrait encore plus… je croise les doigts pour que le milieu de l’enseignement au Québec vive la transformation majeure nécessaire à la reconnaissance et à la stimulation de tout le corps professoral et des employés de soutien. Mais ça, ma mère ne le vivra pas…
Bonne retraite Maman!
Ben
No more monkey jumping on the bed! Souhaite bonne retraite à ta mère 🙂
Geneviève
Je lui ferai le message sans faute, et merci pour la toune dans la tête… 😉
Marie-Claude Germain
C’est super beau Geneviève ton texte, mais depuis l’école primaire que ta composition est étonnante! Et je remarque tu ressembles beaucoup à ta mère sur la photo avec les fleurs rouges!
Bonne retraite Danielle!
Geneviève
Merci pour tes bons mots! Je lui ferai lire le tout demain…
Bernard
Beaucoup de respect et d’amour de ta part pour une mère si précieuse, Ça me touche!
Que la vie te gâte pour toujours bonne Danielle!
Bernard Larivière