… n’est pas de ce monde. On le sait. Du moins, moi, je le sais. Cela dit, personne ne peut me blâmer de vouloir tendre vers cet idéal, puisqu’en théorie*, c’est le propre de l’être humain de chercher à s’élever, s’améliorer… et dans toute quête, il y a les moments d’abattement, ceux où on a envie de baisser les bras, sans le faire, ou parfois si, justement, en le faisant.

*Un jour, je déménagerai en Théorie, parce qu’en Théorie, tout se passe bien.

Baisser les bras n’est pas forcément signe de lâcheté. Parfois, c’est un constat d’échec face à l’objectif démesuré de la quête. On réajuste le tir, et on repart. D’autre fois, baisser les bras est aussi encouragé par la société, qui a tendance à stigmatiser collectivement les extrêmes. Viser trop haut c’est mal, ne rien viser c’est pas mieux, il faut viser entre les deux. D’abord, qu’est-ce que c’est, “entre les deux”?

(Fin du préambule philosophique, début du propos concret.)(Des fois que…)

Un des tabous du 21e siècle est sans doute le corps humain. Dans le 21e siècle blanc, caucasien et industrialisé, s’entend. Car dans certaines cultures, les miroirs n’existent pas! Ça ne doit pas être une mauvaise chose… mais je ne m’étendrai pas sur ce sujet, puisque ma réalité est celle des blancs industrialisés. Les gars, vous pouvez arrêter de lire ici, parce que ça ne va pas parler de vous. Ou alors continuez à lire, des fois que ça vous parlerait…

Donc, ma réalité, c’est d’assister à un match de boxe féroce entre l’image plastique quasi-inhumaine des femmes éternellement belles, jeunes, fermes, en forme, sûres d’elles, super-maman, débordantes de succès et de sexytude dans le coin droit, opposée à l’image des femmes “hors-norme” dans le coin gauche: celles que la société de consommation affuble d’épithètes super flatteurs tels que “ronde”, “pulpeuse”, “taille plus”… et quand on est une femme qui consomme dans cette société, si on ne tient pas dans le moule de la prof de yoga au popotin rebondi et aux abdos de béton malgré trois grossesses, on est inévitablement catapultées dans les boutiques aux étagères garnies de gros motifs fleuris et de soutien-gorge beiges (prononcer “bége”). Oui, vous savez de quoi je parle, la boutique où on n’entre jamais la tête haute. Et où accessoirement tout coûte trois fois le prix (jamais compris pourquoi d’ailleurs, parce que la logique du “y’a plus de tissu” ne tient pas la route, j’ai vérifié chez Lacoste, y’a moins de tissu et ça se vend cher quand même).

Tout part de là. Du fristi de soutien-gorge beyge et des satanés maillots de bain que j’ai confondus avec le fauteuil de feu-ma grand-mère maternelle. Oui, je sais, “les choses sont en train de changer”. C’est vrai, de plus en plus de magazines/chaines de vêtements affichent des tissus/coloris/looks moins désavantageux pour les femmes non-filiformes. Tant mieux. Mais au-delà de ces choix (qu’on sent parfois forcés par la pression des consommateurs), il y a le jugement que nous balance la brassiére pas-beyge. Tsé, celle qui est jolie et qui a l’air quand même confortable, mais qui n’existe pas en plus grand que 39-DD, et qui te juge avec sa resting bitch face: “Toi, t’es pas assez mince pour avoir le droit d’être sexy. Perds 30 livres pis r’viens m’essayer, on jasera après.” Idem pour la jupe en jeans sans volants, la chemise blanche que tous les stylistes nous disent d’avoir dans notre garde-robe, la camisole aux bretelles spaghetti et le pantalon 3/4 aux poches cargo. (D’ailleurs, trouvez-moi l’abruti de designer qui a pensé que des poches cargo c’était brillant sur autre chose que des pantalons d’armée ou d’infirmière).

Permettez-moi un (gros) paragraphe sur le corps. MON corps. Que j’aborde de la manière la plus équilibrée possible. Primo: je ne serai jamais une danseuse de ballet classique, ni Kate Moss ni Gisele Bündchen. Je mesure 1,65m (ça fait 5’4″ fort pour les impériaux). Secundo: j’ai une bonne génétique qui me permet d’être solide, en santé, en forme, sans tares systémiques. Tertio: mes défauts sont structurels: yeux myopes, dents qui se chevauchent un brin, légère lordose, pronation des chevilles nécessitant le port d’orthèses plantaires… mais de manière générale, je vis très bien avec tout ça et ça ne m’empêche aucunement de fonctionner. Quarto: je fais le yo-yo. Le métabolisme dont la génétique m’a dotée fait en sorte que si je bouffe trop de n’importe quoi, j’engraisse. Mais j’ai le “trop” facile, par rapport à la moyenne des gens autour de moi. Pour un même excès, je vais le payer 50% plus que n’importe qui d’autre et ce, peu importe le degré d’activité physique que je maintiens. J’ai donc traversé des phases post-pubères où je pesais 130 lbs, d’autres où je pesais 200lbs. Oui, j’ai acquis 70 livres, en 3 ans. Et je ne parle pas de ma bibliothèque d’universitaire.

En ce moment, 34 ans et demi, 4 dents et un appendice en moins, je pèse 175 lbs, ce qui me fait un IMC de 30. Obèse, catégorie 1. (Oui, prenez le temps de remonter pour regarder les photos en haut. Stupéfiant, une obèse en télémark, non?) Selon n’importe quel médecin qui ne prend pas le temps de considérer autre chose que l’IMC (ce qu’Internet peut très bien faire, pas besoin d’aller me faire juger en clinique pour ça!), je devrais peser 130 lbs pour avoir un IMC de 22,5. De quoi j’avais l’air à 130 lbs? D’une planche à repasser. J’étais loin d’être décharnée, et on ne voyait aucun os saillir de mon corps. Mais je n’avais aucune courbe. C’est ça, une femme, pas de courbes? Nah, pas avec ma génétique.

Les hormones contraceptives, de concert avec un changement de rythme de vie, m’ont fait prendre les fameuses 70 lbs ci-haut évoquées. S’en sont suivi des années de yo-yo. Mais du yo-yo mollo, hein. Ôtez tout de suite cette image de “avant-après” des pilules d’amaigrissement, je ne “fondais” pas à vue d’oeil. Et quand je réussissais une perte de poids, je conservais ledit poids pour une période minimale de 6 mois, voire 1 ou 2 ans selon les changements dans ma vie. Évidemment, chaque fois que mes petites m’hormones se faisaient débalancer, j’en payais le prix: j’ai la génétique susceptible. Il m’a fallu une dizaine d’années pour mettre le doigt sur le bobo… parce que peu importe le moyen contraceptif hormonal employé, je prenais toujours du poids: mon médecin de famille de l’époque (en 2008, à 180 lbs) m’a même lancé au visage que c’était dans ma tête, que j’avais juste à faire des meilleurs choix et à adopter un meilleur hygiène de vie. Bonus: rebelote en 2012, alors que je suis encore à 180 lbs (après avoir tenu quand même 3 ans à 160 lbs), une gynéco-sans-doigté me lance par-dessus son spéculum que c’était pas une bonne idée de pointer une cause médicale comme responsable de mon poids, je cherchais trop loin, et que j’avais juste à enlever le chocolat de mes armoires! … Quand on sait avec qui je vis, et qui le mange, le chocolat, c’est quand même plus que frustrant! Double-bonus: pour tous les médicaments et hormones que mon corps a absorbés (bien peu, au final, si on compare à la moyenne nord-américaine), j’ai toujours vécu les effets du 1-2% écrits en petits caractères… Que voulez-vous, quand on est exceptionnelle! (Ah ah ah… quel humour.)

Maintenant, revenons au combat de boxe. Le mien, c’est dans le coin gauche “Comment je me sens dans mon corps” et dans le coin droit “Comment chiffrer cette sensation”. Je l’avoue franchement: au final, je me fiche de peser 130, 150 ou 180 lbs. Ça pourrait être des newtons, des boulons de la Station Spatiale Internationale ou des pelletées de raisin sec, je m’en contre-balance. Ce que je veux atteindre, c’est QUAND je me sens bien, et réussir à faire ce qu’il faut pour garder l’équilibre qui me permettra de conserver cette bonne sensation. Mais bien évidemment, même cette quête modeste est critiquée! Et tenez-vous bien: des deux côtés! D’abord, parce qu’en ne visant pas assez haut, je me contente de la médiocrité, et que au fond, c’est juste parce que je n’ai pas envie de jeûner pendant 4 semaines que je suis encore grosse! Ça, c’est les disciples de la prof de yoga. Et de l’autre côté, les disciples du 3e verre de vino: “Come on… accepte-toi donc telle que t’es, t’es belle, les idéaux sont inatteignables, aime-toi comme tu es…” et ça, quand on répond à ça en disant “Oui mais non, je ne me sens pas bien comme ça!”, tout de suite, on est influencées par les images plastiques parfaites et on blâme la société culpabilisatrice. Euh… non. J’veux juste être bien. Dans mon corps. À moi. Pas celui sur le magazine, de toute façon, si je suis un jour sur la couverture d’un magazine, c’est parce que je me serai photoshoppée dessus!

Comment je me sens, quand je me sens bien? Quand je suis à l’aise dans mes mouvements. Quand je suis capable de courir, de faire du ski, du vélo, de transporter des charges, de faire du kayak de mer, de passer la tondeuse, de pelleter mon entrée, d’attacher mes chaussures, de monter les escaliers deux par deux, de faire de la randonnée. Quand je peux me faufiler dans un espace serré sans m’accrocher de partout. Quand mon sens kinesthésique ne panique pas parce que j’occupe plus d’espace tridimensionnel que ce que je pense.

J’ai déjà chiffré cette sensation: entre 155 et 160 lbs. De quoi j’ai l’air à ce poids? Medium en haut malgré des épaules plutôt larges mais bonnet A donc les chemises n’ouvrent pas entre les 3e et 5e boutons, medium-large en bas (10 ans), des hanches fortes à cause d’un bassin large, des bonnes cuisses parce que je ne suis pas Barbie-dans-sa-voiture, et des mollets sculptés qui, ma foi, ont l’air franchement-pas-pire avec un escarpin à talon. Comme ça, je me sens confiante et bien dans ma peau. Si j’avais de moins gros os ou de moins gros muscles, ça m’arriverait peut-être à 120 lbs… mais non, 155, ça me va.

Alors toi, oui, toi, prof de yoga à triple grossesse, j’ai 1% de moi qui t’envie, parce que quand même, t’as du mérite (et une bonne génétique). Mais c’est pas parce que je t’envie et que je ne pourrai jamais te ressembler que je baisse les bras. Je n’ai pas baissé les bras. J’ai juste trouvé où je me sentais bien, quelque part après les push-up bras et avant le règne maudit du beyge, pas loin des robes A-line, à travers le linge Costco, la camisole sport et le “mou”. Mais ça, on n’en verra pas sur les magazines. Parce que c’est pas assez extrême-plumpy, ou extrême-parfait. Fait-que, ma non-parfaititude s’enligne à nouveau vers de la mieuxitude, parce que c’est ça, mon “entre les deux”. Mais ça non plus, on n’en entendra pas parler à la télé, toute la place est prise par le yaourt grec.

Sur ce, j’m’en vais courir 5km. Parce que je peux**.11099551_10155579929485341_2419961177513628563_n

** Parce qu’on m’a demandé de quoi était constitué mon entrainement, j’inscrirai simplement en résumé ici que je cours 30 minutes 3X semaine minimum, très souvent en intervalles, intérieur ou extérieur selon les saisons. Je ne m’entraine pas en gym. Je pratique les sports mentionnés dans le paragraphe où je dis comment je me sens bien. Je bois suffisamment d’eau (entre 1,5 et 2,5L d’eau par jour), je mange mes légumes et je n’ai pas la dent sucrée. Mes faiblesse gastronomiques sont les dérivés de la patate, et le vin.