J’aime pas me réveiller avec un goût amer dans la bouche. Comme si j’avais pleuré pendant la nuit. À voir la tête de mes yeux –pas un mot– je constate que j’ai vraiment pleuré pendant la nuit. Bon, je vois qu’un explication: les deux rêves que j’ai fait.

Le premier, banal en soi, me rappelait mes 5 années passées à l’école secondaire, j’ai revu des profs que j’avais adoré, et d’autres détesté, j’ai revu des filles qui étaient dans mes classes pendant ces 5 années, et puis les seuls sentiments que tout ça évoque en moi, c’est le regret de ces profs que j’aimais, et le goût amer des années passées dans mon coin, seule, et pas uniquement parce que je le voulais bien. J’ai toujours été considérée comme fille bizarre et renfermée, qu’il ne fallait approcher sous aucun prétexte. Je faisais des jalouses –ouais, école de filles seulementparce que je réussissais bien dans toutes les matières, en musique, dans les sports, et que ça n’avait pas l’air forçant du tout pour moi. Non, ça ne l’était pas. Et j’aimais pas leur regard envieux. J’avais pas envie d’aller leur parler. Je préférais mon walkman et mes livres.
Je crois que je sais pourquoi j’ai rêvé à tout ça. En juin 2003, ce sera notre conventum. L’espèce de moment chiant tout le monde se rejoint, 5 ans après avoir fini. J’aimerai pas ce truc. Pas envie d’y aller non plus. Tout est soigneusement calculé, hein. Pour les petites finissantes que nous étions à la sortie de cette école, 5 ans représentait le temps d’un parcours normal: 2 ans de formation préuniversitaire au cégep, puis 3 ans pour un baccalauréat à l’université. J’ai pas fait ça. J’ai fait 3 ans de cégep. Pas parce que j’étais cancre, au contraire, j’avais de très bonnes notes. Mais je ne me sentais pas bien dans ce que j’étudiais, et j’ai changé de concentration, voilà tout. Donc, il me restera encore un an d’université à purger quand j’irai –si j’y vaisà ce conventum de m****.
Et j’ai pas du tout envie d’aller revoir ces petites filles parvenues qui n’auront de changé depuis qu’on s’est quittées que l’âge et la scolarité. J’allais dans une école privée, ça a coûté très cher pour que j’y reste pendant 5 ans. La différence entre elles et moi: la classe sociale. Et elles s’en sont toujours servi, de cette classe sociale. Peu importe dans quelle situation, leur argent leur a toujours été utile. La majorité des filles qui finissaient leur secondaire avaient déjà leur voiture, cadeau de papa-maman, et se destinaient à un cégep privé, puis pour certaines, malgré tout, à un avenir brillant. Je ne doute pas que celles-là aient pu réussir. Elles avaient vraiment du talent.
Non, ce que je ne veux pas voir, c’est comment 5 ans peuvent pervertir et corrompre quelqu’un encore plus qu’il ne l’était auparavant. Je sais que je serai déçue si j’y vais. Je sais qu’elles n’auront pour la plupart pas changé, et qu’elles feront les hypocrites en s’intéressant faussement à mon parcours scolaire et à ma vie intime. Dans leur mentalité, il y a deux situations “flatteuses” et “enviables“: avoir eu une bourse pour poursuivre des études en maîtrise, ou être mariée et avoir des enfants. Super, le rêve. Super, les ambitions. Super, le choix entre la bête de cirque scolaire et la maman banlieusarde parvenue. Go fuck yourself. Si c’est pour me faire juger autant que pendant les 5 années que j’étais , non, j’irai pas à cette rencontre de merde.
En clair, je ne retiens pas grand chose de positif de mes années de secondaire, si ce n’est que l’éducation que j’ai reçu, les voyages que j’ai fait –pas si impressionnant que ça, Toronto et Edmonton– et le Génies en Herbe. En soi, c’est ce qui marque une jeunesse, oui, à long terme. Mais à court et moyen terme, ce sont les relations interpersonnelles qui marquent. Et ça, j’ai pas eu. Ou enfin, si j’en ai eu, c’était négativement. D’où le manque d’envie flagrant d’aller à cette rencontre chacune ira de sa petite anecdote savoureuse, avec le ton parvenu –désolée de l’emploi fréquent de ce terme, c’est que je vois pas de synonymes–, ton qui n’aura à peu près pas changé depuis la fin du secondaire, si ce n’est qu’il se sera élevé un peu. “Moâ, ma chère, Harvard me veut pour ma maîtrise, mais j’hésite encore…” “Moâ, ma chère, mon mari est riche, il a une entreprise florissante, et je suis enceinte de 3 mois, ce sera mon deuxième.” “Oh mais c’est magnifique, je suis RA-VIE pour vous !” “Et moi de même très chère !”
Petites filles qui croient être entrées dans la vie adulte par la grande porte.
Petites filles qui jouent encore à prendre le thé avec leurs poupées, à la différence que les poupées ont leur âge et sont vivantes.
Petites filles qui vivent dans l’American Dream, du bout des cheveux jusqu’aux ongles d’orteils.
Ça me donne la nausée.