La majorité du temps, lorsque je lis/suis témoin de quelque chose (des propos tenus, des faits, des gestes posés) qui me fait réagir, je me censure presque instantanément: Geneviève, tu penses trop, t’as une opinion sur tout, ça énerve le monde, tais-toi. En plus, tu passes pour la fille respectueuse (ou pour la nunuche de service), l’un est souvent plus bénéfique que l’autre, trouvez lequel.

Ce matin, en avalant mon café, j’ai probablement absorbé quelques gouttes d’esprit critique; j’ai donc bondi en voyant passer une carte dans mon fil de nouvelles sur ce fabuleux outil de procrastination qu’est le livre-à-faces. La carte était présentée comme suit:

“Cyclistes et piétons: une carte des accidents à Québec”

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La carte est tirée du site internet d’un organisme dont le mandat premier est d’alarmer la population et les autorités compétentes, avec l’objectif ultime d’obtenir des infrastructures pouvant donner aux piétons et cyclistes le loisir de se déplacer de manière plus sécuritaire. Les propos sont relayés dans le monde numérique via la section “Opinions” du quotidien Le Devoir.

Que peut-on penser de cette carte? À première vue, oui, ouh la la, c’est alarmant, tout plein d’accidents! Attention… on frôle le truisme.

Cette belle carte mène à une “fausse” conclusion et on voit rapidement que l’objectif est clairement d’alarmer la population ou les autorités. Le message fondamental n’est pas moins vrai (“il y a beaucoup d’accidents impliquant des cyclistes et des piétons”).

Sachez d’abord reconnaitre les faits:

  1. Il y a du monde qui roule en vélo ou qui marche à pied, avec une plus forte concentration vers le centre-ville, la Colline Parlementaire et les secteurs où il y a des établissements d’enseignement supérieur.
  2. Les risques d’accident croissent proportionnellement avec la densité d’utilisateurs. L’organisme devrait appuyer son propos avec une comparaison tirée d’un environnement urbain similaire, avec la même démographie et le même volume de trafic pour étayer ses arguments.

Je me permets ici une note à propos de tout ce débat sur les déplacements verts, sécuritaires, blah-blah-blah: je suis pour le partage des voies de circulation, peu importe le moyen de locomotion. Je suis pour l’éducation de la population, et non pas la pose d’oeillères systématiques. Je suis donc d’avis que de cantonner les cyclistes aux trottoirs, les cyclistes aux pistes cyclables, les voitures aux rues, et de faire pousser des terre-plein n’est pas une solution, mais bien de jouer à l’autruche, car ça ne contribue aucunement à conscientiser les utilisateurs et renforce le pseudo-sentiment de sécurité “Je suis dans ma voie, rien ne peut m’arriver”. Pourquoi ne pas enlever les écouteurs des oreilles, installer des saillies de trottoir, décider d’une signalisation claire et consistante, et faire appliquer les lois et règlements de manière équitable (envers tous les utilisateurs)? C’est beaucoup trop simpliste comme solution, voyons…

Pour en revenir à la carte, bien sûr, je suis triste qu’il y ait autant d’accidents. Bien sûr, le recensement des accidents fait réagir. Cela dit, il s’agit d’une technique que je trouve un peu faible. J’oserais même ajouter que si ce genre de tactique était employée par une quelconque entité gouvernementale, la levée de boucliers serait instantanée et tous hurleraient à la démagogie. Mais là, on laisse passer (c’est dans la section “Opinions” du Devoir) parce que ça provient d’un organisme aux ambitions nobles et qu’après tout, la liberté d’expression, tout ça…

Après, on grogne sur le “deux poids, deux mesures”… mais ici, c’est clairement de la démagogie socialement acceptée.