Maintenant, je le sais, on me détestait. “On”: la famille, “ma” génération. J’étais différente, ils n’avaient pas la patience de m’expliquer, encore moins de comprendre.

Encore une fois, l’hypocrisie me tue. Avec la jalousie, c’est le comportement que je ne m’expliquerai jamais. Peut-être parce qu’ils ont beaucoup en commun, qu’ils sont très reliés.

Maintenant que tout le monde a vieilli, étrangement, je commence à être intéressante. Ils s’amusent à se souvenir des mauvais coups à mon insu, et on fait semblant que c’était “avant”. Avant quoi ? Je fais semblant de rire, avec eux. Mieux vaut rire de vos sales tronches que d’en pleurer. On pleurera bien assez quand vous crèverez. Et bien sûr, ce sera pareil pour moi, ce n’est bien qu’une fois mort et enterré que les gens prennent le temps de dire du bien de nous. Comme si la mort effaçait tout ce qu’on avait pu dire/faire de stupide, et anihilait tout ce qu’on a été de bête.

C’est bien là toute la beauté de la mort: elle idéalise la vie du défunt, presqu’à l’image de ce qu’il aurait souhaité, surtout s’il n’en est resté qu’au stade de l’ambition.

Il faudra que je me résigne un jour à ne pas être comme tout le monde. Et j’ai envie de rajouter: que je suis plus intelligente, plus cultivée, plus curieuse, plus intéressante, que toutes ces larves qui n’ont d’autres préoccupations que celle de procréer.

Il faudra aussi que j’arrête d’être gentiment naïve, bonne poire, crédule. Apprendre à être méfiante, à douter. Apprendre à être rancunière. Apprendre à lire dans les petites conneries du monde, dans leur petite face hypocrite.

Je voudrais aussi essayer de comprendre pourquoi, en 2004, à 23, 25, 28… ans, on se permet de se voiler la face, de faire croire qu’on a blessé par le passé mais que c’est fini maintenant, tu sais que je t’aime bien au fond, tout ça.

Pourquoi cette obstination à vouloir me voir et me parler après tout ce temps ? Ca doit les rassurer. Ils sont normaux, moi pas. On a besoin des marginaux pour se rassurer dans notre normalité.
On s’intéresse au phénomène “moi”.
S’ils avaient un tant soit peu moins d’esprit de clocher et plus d’esprit scientifique, ils m’auraient baguée comme un vulgaire oiseau migrateur.

Savoir où je vais et si je suis encore en vie, c’est important, on surveille aussi un peu mon alimentation et ma croissance, et ça y est, c’est bon, le spéciment est observé. On peut passer à autre chose, et on y reviendra dans un an, pour vérifier que les habitudes n’ont pas changé.

Oui, je suis une bête curieuse, mais ça va, je le sais, inutile de me le rappeler et d’amplifier.
Allez voir ailleurs, je n’ai rien pour vous, et vous n’avez rien pour moi, à l’exception de 2 ou 3 personnes. Mais voyez ça d’un bon oeil: c’est quand même grâce à vous que j’ai pris conscience de ce néant…