Ma nuit de sommeil ayant été légèrement décalée, je me suis réveillée au moment des manoeuvres qui marquaient le départ du convoi direction Sud (Southbound). Cette journée restera longtemps gravée dans ma mémoire! J’ai essayé de prendre un maximum de notes et de photos pour me souvenir de ce que je ne reverrai probablement jamais. Tout ça est exceptionnel!

D’abord, quelques faits, infos historiques et techniques, tirées soit de mes propres recherches, soit des informations diffusées au fil de la journée par un prof-d’histoire-PhD, Alan Fisher, qui a pris le micro du capitaine à quelques reprises.

  • Le Canal relie la mer Méditerranée à la mer Rouge en passant par le golfe de Suez, il sépare l’Égypte continentale de la péninsule du Sinaï.
  • Il a été inauguré en 1869 après des travaux de 10 ans, mais au fil du temps il a été amélioré, allongé et creusé.
  • Il a une profondeur moyenne de 24 mètres, était long de 162,25km à son inauguration mais fait maintenant 193,30km.
  • Ce Canal permet d’éviter le détour complet du continent africain pour passer de la mer Rouge à la Méditerranée: une économie de 7000 kilomètres!
  • À l’époque, c’était un projet complètement fou puisque très peu de navires étaient équipés de la technologie de la vapeur, chose nécessaire pour traverser le Canal (il a été conçu d’emblée pour les bateaux motorisés, n’ayant pas la largeur permettant les manoeuvres à voile).
  • Le Canal compte trois « lacs »: Manzala, Timsah et Amer (Bitter).
  • Il n’y a aucune écluse: le contact est direct entre les eaux des deux mers.
  • En mettant en contact ces eaux isolées depuis des millions d’années, plusieurs espèces ont migré vers des eaux plus confortables selon leurs besoins. Il en fut de même pour les parasites et microbes, dont certains ont un potentiel invasif. Les invasions biologiques d’espèces marines se faisant par l’intermédiaire du Canal ont été baptisées « migrations lessepsiennes »; elles menacent l’équilibre écologique déjà précaire de la mer Méditerranée.
  • En hiver, le courant du Canal coule vers le nord dans la portion nord, et vers le sud en été.
  • La portion sud du Canal voit son courant changer avec les marées du golfe de Suez.
  • Chaque année, environ 20 000 navires traversent le Canal.
  • Depuis 2015, la capacité quotidienne du Canal a été doublée: jusqu’à 76 navires peuvent l’emprunter chaque jour.
  • Il faut environ 12 à 16 heures selon la puissance des moteurs pour le traverser de Port Saïd à Suez (ou l’inverse).
  • Pour traverser le Canal, qu’on parte du nord ou du sud, les navires et bateaux sont organisés en convoi.
  • Les supertankers qui l’empruntent et qui ont un trop fort tirant d’eau doivent déverser du pétrole dans les oléoducs d’un côté ou de l’autre du Canal, puis récupèrent ce pétrole une fois la traversée complétée.
  • Le Canal comporte trois principales sections, dont deux à sens unique. La centrale est l’endroit du croisement des deux convois.
  • Lors de notre traversée, le convoi Sud comptait 19 navires, le Nord 29. Le convoi partant du sud vers le nord (Northbound) a donc quitté un peu plus tôt que nous.
  • L’ordre dans le positionnement des navires dans le convoi est en lien avec la puissance motorisée: les plus forts devant, les moins rapides derrière. Nous sommes en position 2.
  • Le Canal appartient à l’Égypte, qui s’occupe de son administration et de la sécurité: il est gardé par des sentinelles, qui se voient d’une guérite à l’autre.
  • En traversant le Canal, on passe sous le seul lien terrestre qui unit l’Égypte continentale à la péninsule du Sinaï, le pont « Al Salam », au multiples noms: pont du Canal de Suez, pont d’El Qantara, ou pont de l’amitié égypto-japonaise, ou Mubarak Peace Bridge. Inauguré en 2001, il a été fermé de 2013 à 2015 par crainte d’attaque terroriste.
  • Le coût du passage du Canal est facturé comme un colis à la poste: au tonnage, poids, longueur, taille. En moyenne, un passage coûte 465 000$ US.

La mise en branle du convoi se fait en douceur. Sans trop s’en rendre compte, nous voilà dans l’embouchure du Canal, je suis à regarder le lever du soleil sur la péninsule du Sinaï tout en essayant de prendre un maximum de photos à l’est et à l’ouest.

Tout le long de la traversée, on verra le désert à bâbord, et une alternance entre villes, monuments, cultures de mangues et désert à tribord. À plusieurs reprises nous passons très près des barques de pêcheurs, qui ne semblent aucunement affolés par nos vagues -si ça se trouve, ils comptent là-dessus pour que les poissons remontent vers la surface!

Le passage sous le pont de la Paix est très impressionnant: le bateau fait 28 mètres de haut à partir du niveau de l’eau… et l’espace libre sous le tablier du pont est de 30 mètres!

C’est dans le coucher de soleil que nous avons complété la traversée, à Suez. Vraiment, je n’aurais jamais pensé vivre ça dans ma vie!