Je connaissais déjà le fond de vérité de cette citation latine, mais il m’était rarement arrivé de vivre une situation qui y collerait.

Bon ça devait arriver, et sachant que d’après les statistiques, il me resterait au moins 60 ans à vivre -je vous plains- j’ai encore plus de chances devant moi que derrière moi.

Bref, hier matin, assignation photo.

Faire une photo de groupe de 4 personnages du cinéma québécois je devais, dans les pattes 4 autres photographes j’avais.

Mesdames et messieurs, souvenez-vous (sans tricher avec un URL), j’ai déjà tapé sur les z’artiss. Je peux aussi taper sur les photographes de presse, si ça peut en rassurer certains.

Faut savoir une chose à propos des photographes: en général, nous avons des personnalités de loner. Ce qui signifie qu’on est plus souvent qu’autrement dans notre bulle, à faire nos trucs, sans emmerder qui que ce soit -je ne parle pas des paparazzi, ces rapaces à clichés que j’horripile. Bref, on vaque à nos clics-clics, et on n’a pas à dire un mot.

Là où ça devient délicat: placez 5 personnes indépendantes et solitaires dans un espace restreint, donnez-leur la même tâche à accomplir, dans une période de temps limitée, avec obligation d’interaction, vu la situation: c’est ce que j’ai vécu hier. En 5 minutes, je devais faire un maximum de clichés, avec 4 autres photographes de presse dans les pattes.

Dans une situation comme celle décrite précédemment, vous verrez ressortir tous les traits secondaires de la personnalité de ces individus. Les plus vieux/expérimentés/confiants passeront devant tous les autres, captant toute l’attention, monopolisant les sujets. Les plus jeunes/débutants/incertains attendront comme ils pourront, grapilleront quelques photos ici et là à travers les épaules et les bras tendus.

Vous devinez dans quelle catégorie je me trouve.

(Non, je n’ai cassé aucun flash/lentille/pare-soleil/dentier/lunettes.)

Je connais des photographes de presse plus que sympathique. Fait étrange: aucun de ces photographes n’appartient à un quotidien. Ils sont tous photographes pour la Presse Canadienne. Hier, aucun photographe de la Presse Canadienne. Tous les photographes (sauf un, à peine plus vieux que moi) se réclamaient de la presse écrite quotidienne ou hebdomadaire, le plus jeune avec moi étant le photographe officiel du Musée de la Civilisation -monsieur Labrie, qui est d’ailleurs lui-même très civilisé.

Les faits: pendant 5 minutes, j’ai fait des contorsions pour avoir quelques images pas trop moches à travers 3 photographes égoïstes, sous le regard amusé d’un cameraman de TVA, qui est venu me dire après “Tu as le droit de les mordre, hein… tu fais la même job qu’eux !”. C’est pas l’envie qui manquait.

Dans mon cerveau utopiste, j’ai toujours pensé “Si je peux donner une chance à quelqu’un de faire quelque chose de bien, je le ferai”. Les deux photographes de la Presse Canadienne à qui je pense en ce moment (Clément Allard et Jacques Boissinot, pour ne pas les nommer) ont le même état d’esprit. En plus d’être excellents photographes, ils sont d’une très grande gentillesse.

Ils sont la preuve que c’est pas parce qu’on est loner qu’on est obligé de faire ch*er nos semblables.

Hier, j’ai manqué de confiance en moi, j’aurais dû tenter d’intervenir un peu plus, mais je trouvais la situation exagérée. Les 4 sujets étaient déjà largement sollicités par les autres photographes. J’ai attendu que deux de ces derniers aient quitté pour reprendre quelques clichés, jusqu’à ce qu’un des sujets (Gildor Roy) me dise “C’est OK pour toi, la p’tite ? T’as pas vraiment eu ce que tu voulais, les autres t’ont pas laissé de chance, tu veux qu’on en fasse quelques unes pour toi ?” En voilà un monsieur qu’il est sympa. Après avoir donc terminé d’abuser des sujets et les avoir remercié de leur patience, le réalisateur me dit “En tout cas, t’as du courage et de la patience, je te souhaite d’aller loin, ça manque de gens comme toi -et de filles- dans ce métier !”

Eh bien merci, monsieur, de me rassurer sur le fait que je ne suis pas complètement tarée.

Contrairement à bien des gens, ici, je ne me dis pas “I will have my revenge”, je me dis plutôt que un jour, si je me retrouve à la place de ces photographes, je laisserai des chances à la relève. Parce que j’ai pas envie qu’un jeune photographe de cette relève me bashe sur son blog.