Eduquons nos vieux ensemble, voulez-vous ?

Chers petits vieux, chères petites vieilles,

A mon grand dam, les rudiments de la politesse que vous avez ironiquement inculqués à nos parents -qui ont à leur tour fait de leur mieux pour nous transmettre ces règles de base- semblent bien loin de vos priorités depuis quelques années. Déplorable, n’est-il pas ? Certes, l’âge grandissant de la population vous confère un certain pouvoir, que plusieurs définissent comme le “pouvoir gris”. L’union fait la force, c’est bien connu. C’est pourquoi je tente de faire front commun avec les rebelles de mon espèce, ces rebelles au coeur tendre qui osent encore (et à nouveau) croire qu’un “merci” est une marque d’éducation positive, non pas une faiblesse innomable reflétant un manque d’orgeuil et de fierté. Voyons ensemble ce que vous pouvez faire pour remédier à cette lacune -qui vous a bien entendu échappé, sans l’ombre d’un doute. On le sait, la mémoire est une faculté qui oublie, c’est pourquoi, chers aînés, je vous ai concocté le guide abrégé suivant.

– Quand on vous tient la porte ouverte, en attendant patiemment que de vos petits pas vous franchissiez le seuil, les mains chargées ou non, un merci suffirait pour nous exprimer votre gratitude. Inutile de soupirer en regrettant le bon vieux temps: c’est le cycle de la vie qui vous place dans la posture de celui qui passe la porte, tandis qu’il y a quelques années, vous teniez celle-ci pour votre aîné -du moins, je l’espère.

– Tout ne vous est pas obligatoirement dû: une file d’attente reste une file d’attente. Cessez de jouer des coudes en brusquant vos voisins (plus jeunes), ceux-ci se trouvent avantagés par leur âge et leur condition physique. En évitant de houspiller vos congénères, vous serez plus vite et plus agréablement servi.

– Les halls d’entrée de commerces et d’établissements publics ne sont pas l’endroit de ralliement de votre club social: c’est un passage emprunté par des centaines de personnes qui ont autre chose à faire que de slalomer à leurs risques et périls entre les sacs à main format valise de voyage et les effluves de parfums périmés.

– Vous n’êtes pas seul au monde: inutile de feindre une mauvaise vision lorsque nous nous trouvons à 1 mètre de vous, coincé par votre caddie au supermarché. On sait que vous nous avez vu.

– L’âge ne vous dispense pas d’obéir au code de la route: un feu piéton en fonction donne priorité aux piétons, pas à cette voiture trop grosse pour vous que vous manoeuvrez péniblement.

– Lorsque nous vous cédons notre place dans l’autobus, inutile de nous remercier en maugréant “c’était pas trop tôt”: dans ce cas, mieux vaut éviter de parler. Encore une fois, n’oubliez pas la générale supériorité physique de notre génération.

– Lorsque vous nous demandez quelque renseignement ou service que ce soit, ne vous comportez pas comme si vous étiez Elizabeth II: vous n’êtes pas dans le bon pays, vous ne portez pas ses chapeaux, et nous faisons toujours de notre mieux pour vous servir, au meilleur de notre ignorance incultissime et impardonnable, vers de terre misérables que nous sommes.

– “Le bon vieux temps” existe pour nous aussi: c’était celui où vous nous gaviez de sucreries le dimanche après-midi, en nous demandant comment c’était l’école et si on avait beaucoup d’amis.

Vivez de votre temps, que diable ! Vous réclamez plus de services, plus de facilités, plus d’avantages, plus d’écoute, plus de privilèges, mais n’oubliez pas que généralement, pour donner à l’un, il faut enlever à l’autre.

N’oubliez pas que même si vieillesse rime avec sagesse, vieux peut rimer avec chieux.

papi
Brioude (Haute-Loire, France), août 2003

(J’ai besoin de vous dire d’aller au-delà du premier degré ? 😉