En évitant les sujets autres que superficiels, j’évite les foudres de monsieur le copain de ma mère. Alors je dois esquiver adroitement les pièges, répondre de façon évasive, sourire comme une idiote, faire semblant de rigoler à ses blagues nulles -rien à voir avec les miennes-, dire “oui, sans problèmes” à ses multiples requêtes de bidouiller dans l’ordinateur alors que je sais pertinemment que quand j’aurai le dos tourné, il enverra tout ça chez le tech en mettant les problèmes sur mon dos. Faut pas chercher de midi à 14 heures pour comprendre pourquoi j’ai horreur d’aller à St-Mathieu: à ses yeux, je ne suis qu’une glandeuse qui exploite sa mère, et qui a intérêt à avoir de bonnes notes. (Comme si son fils à lui valait mieux.)
Joie. On se sent apprécié, quand même.
La présence de JPhil me manque.
Il y a quelques jours, je me suis dit: avec du recul, non, je ne dériverai pas.
Mais maintenant, toujours avec ce semblant de recul, je me demande où j’ai mis la frontière pour ne pas dériver. Parce que l’entente, à la base, reste très simple: pas d’engagement. Bizarre, cette façon qu’on a de progresser en prétendant le contraire.
Bizarre, d’autant plus que je sais qu’il se pose les mêmes questions que moi. L’avantage que j’ai -pour une fois que c’est moi qui l’ai-, c’est qu’il me dit ce qu’il pense, il m’écrit… Je découvre le sentiment bizarre de sécurité de savoir ce que quelqu’un pense. Du moins, je le crois. Expériences passées nébuleuses, donc maintenant, je redoute constamment d’avoir à jouer des Champollion avec les pensées des gens qui m’entourent. Trop de fois j’ai dû faire avec des suppositions, des déductions… J’ai la chance d’être intuitive et relativement douée en psycho, mais j’ai aussi une forte dose de paranoïa, ce qui me fait très souvent viser juste pour une direction générale, mais devenir franchement trop pessimiste en poussant. Donc, pour une fois que j’ai les pensées de l’autre sur un plateau d’argent (à quelques détails près), je profite.
Là où ça devient pervers, c’est que je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a quelque chose derrière ce qu’on me dit. Ce n’est pas un manque de confiance en l’autre, c’est une méfiance naturelle, à cause d’une partie de moi -à tendance journalistique chiante- qui cherche toujours à voir derrière les choses, à vérifier et contrevérifier la moindre chose qui puisse être douteuse.
Plus ça va, plus l’éloignement me refroidit rapidement. Hier il me manquait, aujourd’hui non. J’ai passé une journée à profiter de l’air, à marcher avec les chiens, à relaxer… C’est rare que je passe une journée complète à ne rien faire, loin de l’ordinateur, sans penser, sans travailler. Marc-André-ma-plante-verte-de-demi-frère-par-alliance m’a demandé tout à l’heure ce que j’avais fait dans la journée… J’ai hésité avant de répondre, il m’a fait une tête genre “attends t’as rien foutu ??”, et j’ai dit “ben, j’ai marché avec les chiens, fait la vaisselle, mangé, regardé la télé 5 minutes, glandouillé 30 minutes devant le pc, pris ma douche, peu importe l’ordre, voilà”… Il a paru découragé. S’il savait que j’ai rarement du temps à moi… Il n’aurait pas fait cette tête. Plancton, va.
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Vendredi, expérience réussie en vie sociale.
Je ne dois pas être la seule surprise… Ca a commencé par un après-midi de piscine, puis on est allées (oui, y’a un E, j’étais avec ma meilleure amie, la seule fille que je supporte ici) au Star Café, rejoindre JPhil… J’ai ce talent pour rapetisser le monde et les villes, ces deux-là ont des connaissances communes. C’est la deuxième fois que ça m’arrive avec JPhil, la première fois étant un de ses amis que j’ai dans mes cours à l’université et avec qui j’ai sympathisé à quelques reprises. Bref, nous voilà, geek puissance 10, à squatter le wifi du café, et à déconner. Puis, Yoh s’ajoute. Et c’est là que c’est incroyable:
– 4 personnes
– qui ne se connaissaient pas entre elles
– qui sont donc reliées par moi
– assises à une même table
– discutant de tout et de rien
– rigolant
– chacun prenant une part égale à la conversation
– sans que je prenne tout le tapis, ou que ma meilleure amie ne s’efface
– tout le monde à l’aise (du moins, j’en ai eu l’impression, on me corrigera le temps venu…)
– j’ai l’intention de remettre ça
… Vraiment, incroyable. Et dire que ça m’a plu. Et que je me croyais antisociale… Chers psys, dans vos dents. J’ai l’impression d’être en train de me constituer un petit noyau avec les meilleurs éléments qui m’entourent, et je trouve vraiment génial que toutes les parties de ce petit noyau s’entendent bien. Il ne manque plus que Seb, mon meilleur ami, Bill, son meilleur ami à lui, Jay, et quelques autres connaissances d’ici ou de France… j’aurais un joli portrait de famille. Et je suis certaine que tout ce beau monde s’entendrait bien…
Famille… A part ma mère et mon père, je n’en ai jamais vraiment eu. J’ai constitué ma famille comme j’ai pu, avec le temps, et quelques amis chers… Je n’ai pas ce sentiment d’appartenance ou ce besoin de me réunir avec des gens que je ne connais que très peu puisque je n’ai rien d’autre qu’une famille élargie. Le copain de ma mère me blâmait hier de ne pas accorder assez d’importance à ma famille. J’ai eu envie de lui répondre “quelle famille ?!” mais j’aurais blessé ma mère…
Ma mère que je vois très peu, on s’était rapprochées après mon retour de France, mais maintenant que je suis à Québec, qu’on est toutes les deux prises par nos emplois du temps respectifs, difficile d’arriver à discuter ou à avoir une relation solide… Je sais qu’elle m’aime et qu’elle est là pour moi, elle sait que c’est réciproque, mais parfois, il faut se le dire… et les occasions de se trouver seules sont rares. Donc chères.
Ca doit être ça, vieillir: réaliser certaines situations, prendre conscience de nos changements, faire des efforts dans certaines directions complètement nouvelles, réaliser que le résultat est loin d’être décourageant, et arriver à se l’admettre… Mais tout ça me fait un peu peur parfois, je crains de me dénaturer. Heureusement il y aura toujours -du moins je l’espère- ce noyau de gens autour de moi pour me rassurer: même si je vieillis, je reste disjonctée, dans le sens positif du terme…
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