14 janvier 2004:
“Vieux-Lyon, Cathédrale Saint-Jean. Correspondance Funiculaires direction Fourvière/Saint-Just.”
La porte s’est ouverte, j’ai marché lentement jusqu’aux escaliers: je voulais prendre mon temps, savourer. Pour une des rares fois, je n’ai pas monté les marches de l’escalator, le laissant m’extirper des profondeurs du métro à son rythme. Fin du long escalator, j’hésite: je passe par le Parc des Hauteurs, à pied, ou je prends le funiculaire ? J’opte pour le funiculaire: paresse, mais aussi envie de voir une dernière fois l’angle particulier de la rue Tramassac qu’on peut apercevoir quelques secondes, avant que le funiculaire ne s’engouffre dans le tunnel.
Je me faufile dès que la porte commence à s’ouvrir: vite, fuir. Je gravis les quelques marches de l’escalier qui tourne, je me retrouve face à Notre Dame de Fourvière.
Je n’ai plus envie de penser à cet éléphant renversé, même si j’ai passé plus de 8 mois à dire que c’était pas très joli, ça me plaît bien au fond, et ça fait partie de cette ville que j’aime tant…
Je monte une à une les marches du parvis, pour les redescendre quelques secondes après: j’ai coupé par là, pour éviter un groupe de touristes qui contourne la clôture… je ne vais pas dans la basilique, je passe à gauche.
Le temps grisâtre favorise la désertion de ce point de vue sur Lyon: tant mieux, je pourrai y rester sans avoir à jouer des coudes…
Chaque fois que je vais là, c’est la même chose: le panorama qui apparaît, tout d’un coup, me coupe le souffle, pour quelques secondes, le temps que mon cerveau dise à mon coeur et mes poumons “c’est bon, c’est Lyon, c’est beau, tout est encore là”.
Je m’appuie au parapet, je ne sors pas l’appareil tout de suite.
Je respire l’air frais, c’est l’hiver ici, quelle douceur… L’oxygène afflue à mon cerveau, je suis vivante, je le sens.
Mes yeux s’attachent à chaque détail: on voit bien la Croix Rousse, les arbres sont dégarnis… L’Hôtel de Ville s’érige, et juste derrière, l’Opéra semble dire “eh, j’existe aussi”… Quelque part entre les deux, cette rue blindée de vendeurs de kebabs…
Saint-Nizier se fond dans le paysage, je la vois parce que je sais où elle est… La Saône n’a pas une belle couleur aujourd’hui, il a plu récemment… Le pont Alphonse Juin s’étale encore de tout son long, comme un porte-avions. C’est bien le seul pont que je trouve moche, tiens… Même la passerelle du Palais de Justice est jolie à côté, malgré son architecture moderne. Le crayon du Crédit Lyonnais est toujours là… il est quand même moins moche que la Tour Montparnasse.
Derrière le crayon: la gare qui m’emportera, demain. Ne pas y penser…
Mon regard fuit à gauche: je sais que le Parc de la Tête d’Or est là, quelque part. Mes yeux suivent une rangée d’arbre dégarnis: la rue de la Ré, dont je me souviendrai pour y avoir esquivé d’innombrables sondeurs le samedi après-midi…
Saint-Jean, là, à mes pieds: j’y suis allée si souvent… La rue, je la connais par coeur. Comme cette saleté de caniveau dans lequel je me prenais toujours les pieds.
Le pont Bonaparte, si souvent traversé à la hâte, dans un sens comme dans l’autre: un rendez-vous Place Bellecour sous la queue du cheval, ou sur le parvis de Saint-Jean, vite, ne pas trop faire attendre.
Plus à droite: Perrache. Le coin que j’aime moins… Une fois sur les voies de la gare, ça va. Mais avant, c’est trop glauque… Mais j’aime les gares. J’aime les points de fuite vers l’horizon que les rails offrent.
Mes yeux se perdent dans le paysage, loin, derrière, les Alpes. Je les devine, elles sont là. Elles y resteront…
Moi, pas. Je pars demain. Je prends quelques photos, mes mains tremblent. Le froid ? La fatigue ? La nervosité ? Surement un mélange de tout…
Mes yeux s’embuent. Je vois moins bien le panorama… Je baisse la tête. J’ai envie de fixer mes pieds, et de ne plus bouger… Je m’arrache pourtant à cette contemplation. J’essuie mes larmes, ce n’est pas le temps, pas encore. Un dernier regard, dernier aurevoir. Je tourne les talons… Le retour est vague. Funiculaire, métro, bus.
J’ai cherché une faille temporelle, mais j’y étais déjà, depuis presque un an. C’est le moment de revenir à la réalité. Le rêve a une fin. Et le réveil sera douloureux.
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